taille

" Physiquement, Julius avait été grand tout petit. Stimulé par une mère à l'amour exigeant, qui savait manier la carotte, le bâton et la fessée cul nu, il avait eu à coeur de croître avec intensité. Du haut de son 1 m 20 en petite section maternelle, il toisait les liliputiens de sa classe avec un détachement princier et squattait la balançoire pendant la récré. Affichant 1 m 40 en grande section, il put sous-traiter la confection de son cadeau de fête des Mères et fut à l'origine d'une augmentation des tarifs de la cantine. Quant au 1 m 50 qu'il déploya dans la cour des grands pour son arrivée en  CP, il lui valut le surnom de Goliath (car, dans le temps,  les écoliers avaient de la culture), des échanges salivaires intense avec la délurée Bénédicte Japinet, et une place de choix dans l'opération "Racket du goûter des nains" organisé par l'amicale des redoublants du CM2. Et puis tout s'arrêta. L'organisme de Julius était-il désemparé par ses efforts démesurés pour étirer ses os? Ou bien tétanisé à l'idée d'affronter à court terme une puberté apocalyptique? Ou encore modifié par l'ADN de Bénédicte Japinet qu'il avait copieusement ingéré? Toujours est-il qu'il prit un congé à durée indéterminé. 1 m 51 il faisait, 1 m 51 il garda. Dame Nature, dans son infinie bonté, consentit par la suite à faire pousser quelques poils là où il faut et quelques boutons là où il ne faudrait pas, mais rien de plus. Le Gulliver du primaire devint le Schtroumpf du colège, puis la risée du lycée. Bénédicte Japinet alla voir ailleurs pour les échanges de fluides. La maman de Julius prit très mal l'insolence du fiston rétif à l'expansion verticale. Après quelques fessées inopérantes, elle reporta son affection sur un labrador, un peu crétin mais tellement fidèle. C'est ainsi que Julius commença à voir la vie sous un autre angle. Par en dessous." (J.M.Erre/ La fin du monde a du retard)